"Cent ans de solitude" par Gabriel Garcia Marquez (1967, trad. française 1968)

Publié le par Irene Cadel

Voici une oeuvre belle, dense, nourrie et traversée par le temps, le temps de l'Histoire, le temps des hommes et celui des morts. "Cent ans de solitude" c'est un siècle, un roman qui traite de la descendance de José Arcadio Buendia et de son intrépide femme, Ursula Iguaran. Dans le village de Macondo, aux prises avec la guerre, devenant une aglomération bruyante, moderne, favorisée par ses commerces attractifs avant de disparaître tout à fait. Dans une époque qui ne cesse d'être traversée par le surnaturel, celui des éclairages de la chambre de Melquiades ou celui de la lucidité insaisissable d'Aureliano, des lieux hantés forçant au départ ou d'inquiétantes superstitions.

C'est que le Temps est sujet même du roman. Si l'on ne saurait dater les faits racontés ni les naissances il est au coeur du récit : à la fois simple ligne chronologique où se succèdent les événements et boucle permanente au terme de laquelle ces mêmes événements semblent se répéter à l'infini, portés par des personnages de même sang, ou presque, dont les noms tendent à se confondre. C'est ce sentiment qui les travaille, tels Aureliano et Ursula : le temps passe "mais pas à ce point-là", car en fait il tourne en rond sur lui-même (p. 122, p. 318 ) ou qui les mène à la folie, tel José Arcadio Buendia "C'est une vraie calamité. Regarde l'air, écoute le vrombissement du soleil, tout est pareil à hier et avant hier." "La mécanique du temps s'est déréglée" (p. 78-79) avant d'être finalement attaché au châtaignier.

Le temps, l'avenir, sa sinistre et effrayante prédiction ne cessent de se rapeller à leur mémoire. Car nous avons à faire à des générations de José Arcadio Buendia. Des fils, José Arcadio et Aureliano Buendia,  aux petits-fils et arrière-petits fils qui sauront perpétuer l'originel personnage. Des filles telle l'intraitable Amaranta et l'orgueilleuse Rebecca, la soeur adoptée mangeuse de terre, sauront transmettre leurs noms et fatalités. C'est que ces lignes de descendance tendent aussi et surtout à se croiser, par la grâce de la très désirable Pilar Ternera... donnant naissance à des batards ignorant leurs ascendances.

Ainsi, José Arcadio après avoir aimé Pilar et juste avant de rejoindre les gitans, lui laisse-t-il un fils, dont elle se sépare en le donnant à Ursula et qui porte le nom d' Arcadio (p. 40). C'est avec cette même Pilar, qu'Aureliano Buendia, le frère de José Arcadio, reconnaît un fils auquel il donne son nom, Auréliano José (p. 77, p. 87) et que la petite Remedios Moscote, jeune épouse d'Aureliano Buendia, considére comme son fils aîné avant de mourir, digne ascendante de sept ans immortalisée par le fameux daguerréotype. Et c'est encore elle que désire follement Arcadio, son propre fils, auquel elle promet de succomber (horreur de l'inceste) et qui lui offre, pour une cinquantaine de pesos, Sainte Sophie de la Piété (p. 111), union donnant naissance à Remedios la belle et aux deux jumeaux, nommés alors José Arcadio le second et Auréliano le second, et tous recueillis par Ursula (p. 128). L'histoire de ces descendants occupent alors le récit, Auréliano José fou du désir que lui inspire Amaranta, José Arcadio et Auréliano les seconds tentés et initiés aux plaisirs de la chair, partageant tous deux les charmes de la même jeune femme Petra Cotes. Aureliano le second, plus prodigue,  en a un fils, José Arcadio qu'Ursula destine à être curé, puis une fois devenu l'époux de Fernanda, il a deux filles, la première Renata-Remedios "Meme" dont le triste destin au nom de Mauricio Babilonia, donne naissance à Aureliano, et la seconde au joli nom d'Amaranta Ursula. Quelle lignée...

Si la guerre entre conservateurs et libéraux est un élément fondamental du récit, celle qui commence et achève la saignée à laquelle survit le colonel Aureliano Buendia dont la destinée est livrée en quelques lignes biographiques (p. 102), c'est surtout son enlisement et sa vanité, l'oubli pluvieux, l'oubli spongieux et la mémoire d'une autre Histoire qui retiennent toute l'attention.  

Mais en vérité, l'essentiel est ailleurs. Là-bas, dans le cabinet d'études de Melchiades où le temps s'immobilise, et l'air est plus pur. C'est ici que sont les mystérieux manuscrits qu' Auréliano le second, entreprend de déchiffrer alors qu'apparaît Melquiades en personne lui apprenant que nul ne doit en connaître le sens avant cent ans (p. 178). C'est ici que sont les mystérieux manuscrits dont Aureliano Babilonia découvre la langue et puis le sens ...

... avant de disparaître "car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre de seconde chance."

Publié dans Roman

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