"La Maison des coeurs brisés, Fantaisie dans le style russe sur un thème anglais" de Bernard Shaw (1916-1917, trad. française Georges Perros, 1982)

Publié le par Irene Cadel

Fin et spirituel, le dramaturge Bernard Shaw révèle ici un théâtre aux personnages chatoyants, fantaisistes, incroyables mêmes. Ce petit monde ancré bon gré mal gré dans l’espace (en Angleterre, à la lisière du Sussex) et le temps (au XXéme siècle, fin septembre, le soir) recèle d’étonnants trésors de répliques, drôles, décalées et profondes aussi. La Maison des cœurs brisés, Fantaisie dans le style russe sur un thème anglais est « une vraie boîte à surprises », comme le prétend Nounou Guiness, et même d’après le Capitaine Shotover, « la maison de Dieu, [où] ce qui est vrai ici est universellement vrai ». Elle représente merveilleusement le théâtre.


Trois actes, et pas de scène susceptibles d’introduire les personnages autour d’une action dramatique. Non, trois fois non ! Ici, les personnages se désorientent et se jouent de l’action principale rapidement balancée par Madame Hushabye « Naturellement, tu as fait connaissance avec Ellie … Elle va se marier. Avec un millionnaire. Un vrai cochon. Tout ça par amour pour son père, fauché comme un rat d’église. Tu vas m’aider à empêcher ça. ». La faconde des personnages et leur à propos, si étonnant, sont au cœur des événements, leur donnant le rythme entraînant d’une valse avec l’imaginaire.


Premier acte. C’est le moment pour l’auteur de donner à la scène son décor, mais ici, il est juste improbable : fenêtres et portes vitrées, murs et charpentes se dessinent confusément. C’est une maison à la forme d’un vaisseau, toute bizarre. Côté babord se détache le jardin sur lequel s’ouvrent les portes vitrées. C’est là qu’une jeune fille, Ellie Dunn, s’est assoupie à force d’attendre qu’on daigne s’apercevoir qu’elle est l’invitée… de Hésione Hushabye, la fille aînée du Capitaine Shotover. Arrivent alors la fille cadette du Capitaine, Lady Ariane Utterword, puis le père de Ellie, Mazzini Dunn et Monsieur Alfred Mangan, son promis. La scène s’étoffe aussi du romanesque mari de Madame Hushabye, Marc Darnley autrement nommé Hector Hushabye, et du beau frère d’Ariane, Randall Utterword.


Tous ces personnages vont alors s’entrecroiser au cours de scénettes, ménageant leurs sorties et entrées, menant conversations à bâton rompu autour de la trame dramatique : Ellie épousera t-elle donc Mangan ? La maison éponyme est loin d’être désespérée, « Oui, cette maison de fous, cette maison étrangement heureuse, cette maison angoissante, cette maison en l’air, je l’appellerai : la maison des cœurs brisés », (Acte III, p. 117-118) et devient un personnage à part entière revenant sans cesse dans les propos de ceux qui la découvrent et de ceux qui l’ont fuie. Là, se brisent les cœurs d’Ellie tombée sous le charme moustachu d’Hector, et d’Alfred également touché par la gracieuse Hésione … Une fois brisé, les cœurs semblent se métamorphoser, se défaire doucement « son cœur se brise, voilà tout. C’est une sensation curieuse, une sorte de douleur, qui va heureusement au-delà de notre sensibilité. Quand le cœur est brisé, les vaisseaux sont brûlés. Tout est vain ! C’est la fin du bonheur, le commencement de la paix. » (Acte II, p. 88) Une fois dénudés, et mis à nu, leurs cœurs les laissent jouer sans tourment, « notre jeu consiste à découvrir l’homme sous la pose » (Acte II, p. 99), représentant peut-être aussi le métier du comédien.


Au loin, on entend une explosion sourde. Le bureau de police vient de téléphoner demandant l’extinction des feux car la maison se voit de très loin. C’est une nouvelle nuit de bombardement qui commence, rappelant alors l’arrière plan historique et la guerre. Mais ici, Hésione et Ellie n'entendent rien d'autre que le tonnerre qui gronde ou Beethoven. Tous se tenant prêts pour le jugement. Hector allume les lumières afin de briller jusques aux cieux, et seuls deux personnages (Mangan et le voleur) s’enfuient dans les souterrains de la carrière. Le danger se rapproche intensément, et les personnages attendent avec anxiété et émerveillement que les feux du ciel leur tombent dessus ou que les feux du foyer les protègent.

Publié dans Théâtre

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